Santé et Architecture
Retour sur le Colloque
IRPS – 25 Mars 2021 – Faculté Montpellier
Au programme de ce colloque de bon niveau, plusieurs thématiques avec à la base un constat « la santé n’est pas le soin », rappelé dès les années 80 par l’OMS et une piste de travail « comment concilier Architecture et Santé ».
Comme l’a souligné un intervenant «… le recours au système de soin, c’est quand tout le reste a échoué… ». Cela rend humble face aux grands projets hospitaliers. Il est certes plus facile de construire un hôpital que de travailler sur des thématiques économiques et sociales favorisant l’état de bien-être. La notion « d’exposome » est un concept intéressant qui amène à réfléchir en dehors des murs de l’hôpital ou clinique. Comme nous le savons tous, l’OMS estime qu’une activité physique accrue, une alimentation plus saine et l’arrêt du tabagisme permettraient d’éviter jusqu’à 80% des maladies coronariennes, 90% des cas de diabète de type 2 et 30% de tous les cancers. Je me souviens d’un projet passionnant dans le Nord de la France où la Communauté de Communes souhaitait profiter de la construction d’un hôpital innovant pour le replacer dans un circuit global de prévention / éducation / bien-être. Nous sommes loin de la T2A et de ses silos de financement mais au cœur sans doute d’un processus d’amélioration de la santé et non pas uniquement du soin.
Alors faut-il arrêter de construire et mettre l’investissement public sur d’autres sujets ? Sans doute que la réflexion est pertinente, mais là n’était pas l’essence de ce débat. L’idée était déjà de regarder à l’aune d’une approche historique, internationale et documentée, si des leçons peuvent être tirées pour que l’investissement réalisé soit bien utilisé.
J’ai en retenu quelques-unes et j’ai développé quelques conclusions non universelles et forcément trop personnelles, que je partage ici :
– La notion de « programme à la française » véritable cadre d’une opération, apparait comme déconnectée des réalités pour une série de constats que même certains professionnels du métier valident :
- La vision prédictive est trop éloignée de l’objectif final. Dix à quinze années séparent les premières études de l’ouverture d’un bâtiment. Par ailleurs qu’est-ce qui est certain dans l’évolution de la santé ? La crise du COVID19 montre à quel point nous avons été aveugle.
- Les ratios type par locaux sont des carcans, construits avec des données rétrospectives et donc, malheureusement ils sont bien éloignés des réalités de demain.
- L’innovation, notamment digitale, qui marque un tournant de nos sociétés depuis 20 ans est presque toujours absente dans les programmes hospitaliers, pour des raisons multiples qui mériteraient un débat à part entière.
– La place du patient est anecdotique dans les études actuelles. L’architecte saura voir une ligne, un développé de façade, une signature. Avec son bureau d’études les contraintes structurelles et techniques seront bien prises en compte mais on passe à côté de l’essentiel. Le patient, les familles, les personnels sont les grands oubliés du projet. Tous nos experts du Nord de l’Europe nous le disent « l’investissement le plus intéressant pour notre projet a été d’intégrer les patients du début jusqu’à la fin ». Cette leçon tirée de l’expérience a été dite des dizaines de fois dans nos séminaires d’Impact Study mis en place dans tous nos projets de vision innovante. À ce jour, aucun client n’a suivi cette recommandation.
– La flexibilité et la résilience face aux menaces réelles. Samuel Alizon dans son ouvrage « Faire dialoguer Pasteur et Darwin » nous rappelle qu’en 2000 ans il y a eu 7500 générations de l’espèce «Homo Sapiens » porteuses d’adaptations génétiques et 7500 générations de VIH en 20 ans. Il est donc ambitieux de vouloir jouer sur notre adaptation naturelle face aux risques infectieux notamment, ou, sur notre capacité à anticiper les évolutions. La clef c’est la flexibilité et la résilience.
– « Small is Beautiful » versus Concentration et Productivisme. La concentration des offreurs de santé, la construction d’ensembles hospitaliers puissants contribuent à l’amélioration de la productivité par un classique effet d’échelle et un regroupement des savoirs. Mais on doit se poser la question de la fragilité de ces géants face aux nouvelles menaces et de l’accès aux soins dans un bilan global efficace. Les hôpitaux pavillonnaires ou des structures « décrochables » avaient été inventées pour répondre aux risques infectieux, pour parfaire l’hygiène, pour s’adapter. En pleine crise du COVID19 ces mots retrouvent du sens. Et pourtant, les programmes des 18 derniers mois n’ont pas vraiment revus en profondeur. Lorsque je vois le « monstre » hospitalier qui va se créer dans la banlieue Nord de Paris, monolithique signé par un nom prestigieux de l’Architecture mondiale, je m’interroge sur la capacité de cet ensemble à pousser ses murs, cloisonner son espace suivant des risques évoluant chaque jour, sérier ses entrées pour faire face à une menace grave et un afflux massif de malades à ses portes. Sans doute que mes interrogations ne sont pas suffisamment éclairées pour comprendre cette logique en pleine crise hospitalière qui met à genoux notre économie.
– Healing Hospital. Ce concept puissant, évalué, documenté, bénéficiant d’une société active d’experts a du mal à franchir nos frontières. Je me souviens de ces projets tristes où nombre de chambres donnaient sur les cours logistiques, parfois une morgue, un parking … on est loin des réalisations de pointe qui soignent, par le beau et le bien-être.
– Digital Hospital. Et si l’informatique et la robotique étaient une des clefs ? Le digital permet de prendre de la distance vis-à-vis de l’espace et du temps. On peut apporter une réponse sanitaire à la vitesse d’un réseau numérique puissant de manière instantanée sans toujours avoir le patient en face. Les technologies iront de plus en plus loin de ce point de vue. La classique « consultation » de télé médecine (30% des remboursements assurance maladie pendant les périodes de confinement durs) se dote de sciences nouvelles et d’assistants de plus en plus élaborés. Voilà que des facultés de médecine, commencent à enseigner la reconnaissance des signes à distance, l’utilisation de dispositifs de santé personnels (smartphone, appareils prêtés etc.) pour parfaire un diagnostic. Des solutions couplées à de la logistique évoluée permettent d’apporter ensuite une partie de la réponse thérapeutique en mettant à disposition le bon produit, chez soi. Et pour boucler ce tour d’horizon technophile, évitons encore d’imaginer que nos plateaux techniques de demain seront mobiles, œuvrant à distance même si depuis septembre 2001, l’un de nos plus grands chirurgiens, associé à un de nos champions IT a su réaliser une ablation chirurgicale importante à plusieurs milliers de kilomètres. Les mêmes équipes travaillent sans relâche vers la miniaturisation du geste et son pilotage, dans le bloc opératoire, demain au domicile préparé pour cela. Bien entendu, relire un programme avec ces lunettes digitales laisse apercevoir une autre architecture…
« La critique est aisée, l’Art est difficile » disait au XVIII le comédien Philippe Néricault. Ces petites réflexions « à chaud » ne se veulent nullement critiques. Derrière chaque observation, il y a vraisemblablement un éventail de justifications qui peuvent expliquer cela et lancer le débat. Mais le professionnel de santé que j’ai été durant 20 ans, ne peut s’empêcher de constater que le chemin est encore loin vers une approche globale rapprochant l’humain, l’architecture et la technologie au profit d’un monde meilleur.
Merci aux organisateurs pour l’invitation.
Thierry COURBIS
Manager de Santé EHESP – Docteur en Économie – Ingénieur Système d’Information
CEO LEADER HEALTH Genève